Dans un élan de solidarité spontanée, tirée du lit hier au son des terribles nouvelles des assassinats dans les bureaux du Charlie Hebdo à Paris, j’ai adhéré au mouvement « Je suis Charlie ». Et passé le restant de la journée à suivre les divers fils d’actualité, à voir paraître les dessins, les réflexions d’autres créateurs, d’autres penseurs, écrivains, journalistes. Sous les -30o C, j’ai partagé en compagnie d’autres ma foi en la liberté d’expression devant le Consulat Général de France.
Mais suis-je, pour cela, Charlie ?
Ceux qui me suivent en ces lignes savent que je suis atteinte d’une tumeur au cerveau, située dans une zone qui contrôle le langage et tout le système qui rend possible la parole. La faculté, la liberté de m’exprimer.
Je vis depuis des années et, je l’espère, pour encore quelque temps encore grâce à la médecine, avec la peur de perdre cette liberté.
C’est une menace physique. Je ne blâme personne pour ce qui m’arrive. Je n’en veux même pas à la vie. Mon sort n’est ni meilleur ni pire que ce qui est réservé aux milliards d’humains qui naissent, vivent, meurent en ce monde.
Ma chance, c’est d’avoir reçu un électrochoc. Une prise de conscience dans ma chair même. Et de me demander ce que je souhaitais faire de ma liberté de parole, pendant que je l’avais.
Hier, parmi le flot ininterrompu d’informations entourant le drame du Charlie Hebdo, j’ai écouté l’entrevue de Jean-Francois Nadeau, journaliste et proche ami de Charb, l’un des caricaturistes assassinés. D’une grande éloquence et une remarquable cohérence malgré le choc de la nouvelle, Jean-François Nadeau rectifiait l’idée qu’il s’agissait d’une « attaque contre la presse » mais que c’était plutôt une « attaque contre une façon différente de penser». Nous vivons dans une société submergée par une information de plus en plus lisse, unie. Une information étouffée par une bienpensance frileuse qui cherche le compromis au détriment de la discussion et qui, ainsi, est encore plus efficace à faire taire l’opinion publique que la façon brutale et « simple » utilisée par les assassins hier. En effet, «quand tout le monde dit la même chose, plus personne ne dit de chose différente.»
Car le drame de Charlie Hebdo, c’est d’avoir été isolé en tant que média dans une tourmente qui pourtant, nous concerne tous. Certes, le ton était disgracieux, «bête et méchant». C’est le propre de la satire.
Ici, pas besoin d’être d’accord sur le fond, mais prêt à se battre pour que ce droit de s’exprimer demeure. D’être fidèle à la pensée de Voltaire qui disait : « Monsieur, je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. »
Et c’est en cela que je me questionne. Dans la foulée de cette vague «Je suis Charlie», qui d’entre nous oserait se mettre en danger, sans plier devant la menace, pour préserver non seulement notre droit de s’exprimer, mais celui de l’autre ?
Je me souviens très bien d’avoir entendu des propos tièdes, ici et là autour de moi, lors du «scandale» des caricatures du Charlie Hebdo, qui avait appuyé le journal danois Jyllands-Posten sur lequel planait la menace de radicaux islamistes pour avoir publié des caricatures de Mahomet. Et, fidèle à leur ligne éditoriale, les caricaturistes du Charlie Hebdo en ont ajouté une couche. Et nombreux ont blâmé ce geste.
Chacun ses combats, et le mien est ailleurs. Dans l’enseignement de l’histoire ancienne, de l’écriture de fiction dans laquelle les thèmes sont liés à une vision de la vie où perce la lumière plutôt que la noirceur. Je ne suis ni politicologue, ni sociologue, et je ne suis pas douée pour les joutes verbales et intellectuelles dans le feu de l’action. Cependant, j’appuyais à 100% la démarche du Charlie Hebdo.
Maintenant, que ferons-nous ? Êtes-vous des Charlie ? Suis-je une Charlie ? En d'autres mots, êtes-vous prêts à vous tenir debout pour combattre le droit de penser différemment, d’exprimer des idées par la PAROLE ? Par ce don fabuleux qui nous est propre, à nous, humains, celle de se « dire ». De se « penser ». De s’expliquer.
Et de rire.
De rire !
Seul l’être humain a ce don.
Et il semble que ce soit signe d’intelligence.
Oui.
Je suis Charlie.